Le commerce international

De la révolution industrielle à la seconde guerre mondiale ; le libre échange est-il un mythe ?

La révolution industrielle (environ 1780-1850) a bouleversé tout les champs de la société et particulièrement en ce qui concerne la technique ; ainsi les moyens de transport se perfectionnent permettant aux économies de s’ouvrir sur l’extérieur ; le commerce international se développe.

De nombreuses réflexions sur protectionnisme et libre échange apparaissent ; la domination théorique de ce dernier semble évidente, à travers des auteurs tels que Smith et ricardo.

Dans le domaine théorique le libre échange n’est pas du tout un mythe, en revanche dans la pratique, c’est beaucoup moins évident ; en effet le protectionnisme domine. Comment expliquer cette dichotomie ?

Le libre échange s’impose

Il s’impose d’abord face aux mercantilistes. Il est né avec la mécanisation et se développe avec l’industrialisation.

Défense du libre échange déjà présente chez les physiocrates, au 18ème s (Quesnay, Turgot, Colbert) qui revendiquent la liberté du commerce des grains ; et qui sera reprise par les classiques. Ceux-ci représentent un ensemble de penseurs relativement hétérogènes, mais ce qui fait leur unité peut être résumé en deux grandes idées : ils croient au mécanisme naturel d’une économie tendant vers l’équilibre (la main invisible) et ils croient à l’initiative privée (fonction régalienne de l’Etat).

La théorie du libre échange s’impose

Smith
Théorie de la main invisible : intérêt particulier qui conduit à l’intérêt général.

Et le profit passe par l’échange et la spécialisation. Théorie de l’avantage absolu (image du père de famille + du tailleur et du cordonnier appliquée à l’échange international).
Il faut donc supprimer les barrières douanières et favoriser la spécialisation.

Ricardo

Principes de l’économie politique et de l’impôt 1817.

Idée d’état stationnaire inévitable mais que l’on peut retarder grâce au progrès technique et au libre échange.
Ricardo cherche à combler les lacunes de Smith, il forge pour ça l’idée d’avantages comparatifs qui consiste en l’intérêt qu’ont tous les pays à se spécialiser là où ils ont le plus grand avantage ou le moins grand désavantage. En effet chez Smith, un pays ayant partout une productivité inférieure aux autres pays n’aurait pas intérêt à la mise en place du libre échange.

Des contradicteurs

Le principal étant Friedrich List (1789-1846). Dans son livre système national d’économie politique en 1840, il préconise la mise en place d’un protectionnisme éducateur pour les pays qui du fait de leur « retard » industriel seraient trop vulnérables à la concurrence étrangère (en particulier britannique) et c’est le cas des pays allemands.

Mais List n’est pas un pourfendeur du libre échange comme le montre son combat pour la mise en place du Zollverein (marché commun entre les Etats allemands) et cette citation :
« la protection douanière est notre voie, le libre échange notre but »

Le libre échange étant donc le but ultime chez List.

J S Mill, bien que classique a cherché à analyser la répartition des gains à l’échange (thème très actuel) et en a déduit que ça dépendait du niveau de la demande internationale. Le libre échange peut donc être néfaste pour certains pays à certains moments.

Carey, américain d’abord partisan du libre échange qui au vu de la corrélation qu’il constate entre hausse des barrières douanières et hausse du PIB (dans les années 1840) va changer d’avis.

Il est plus extrême que List en considérant qu’il faut un protectionnisme durable et général (List parle de « sectoriel et temporaire). Il pense aussi que le protectionnisme permet de maintenir les salaires à un plus haut niveau.

La pratique du libre échange progresse

Commence par l’Angleterre dans les années 1830 avec le débat lancé par les industriels de Manchester sur le haut prix du pain, ils s’appuient sur les thèses ricardiennes. Lancement en 1839 de l’anti-corn-law league, avec à sa tête Cobden. Le Peel’s act abolie les corn laws en 1846, l’acte de navigation de Cornwell (aucune marchandise ne pouvait être importé en Angleterre si ce n’est par des bateaux construits en Angleterre, appartenant à un armateur anglais, et avec des marins britanniques.) est aboli en 1849.

En France le libre échange fait peur mais fini par être imposé par décret puis par traité sous Napoléon III. C’est le traité Cobden/Chevalier de 1860.

Le libre échange progresse dans toute l’Europe, souvent par accords bilatéraux. Entre 1860 et 1880 la France accorde la clause de la nation la plus favorisée à 12 pays.

Mais des 1879, l’Allemagne adopte des tarifs protectionnistes (Bismarck) suivi par d’autres pays dont la France (tarif Méline en 1892). Cependant les tarifs remontent moins haut qu’au milieu du siècle et certains produits demeurent non taxés.

Jusqu’en 1929 le libre échange a donc progressé et le commerce international se développe rapidement, plus vite que la production ce qui entraîne une augmentation du taux d’ouverture des Etats.

Selon Maddison, le tcam en volume du commerce international aurait été de 5,5% entre 1850 et 1873.Pour diminuer après tout en restant supérieur à 2%. Pose question sur l’impact des politiques commerciales.

Le libre échange peut apparaître comme un mythe car les pratiques protectionnistes des restent dominantes.

Les pratiques protectionnistes

Pratique défensive ; par favorisation des importations
Par des mesures tarifaires (de deux natures, proportionnels ou forfaitaires).
Par des mesures non tarifaires tels que les normes, quotas, exclusif colonial (il s’agit de protectionnisme dit gris ou administratif).

Pratique offensive ; par favorisation des exportations
Par la pratique de dumping (social, commercial, monétaire = dévaluation compétitive…)

« Le libéralisme est l’exception, et le protectionnisme la règle » Bairoch

La pratique du libre échange mais le protectionnisme domine dans l’espace et dans le temps. En effet l’âge d’or du libre échange ne représente que 20 courtes années (1860-1880) et n’a touché complètement que la Grande Bretagne (taux de 0% jusqu’en 1914 puis quelques restrictions pendant la guerre (tarifs Mac Kenna qui touchent les produits de luxe) puis pendant les années vingt).

La pratique du libre échange subit des résistances

De la part de l’Etat

En effet, les tarifs douanier représentent une importante part des recettes des Etats (46% du budget britannique en 1840 et 66% du budget fédéral américain en 1870) ; il y a donc un risque politique à pratiquer le libre échange (car il va falloir augmenter les impots pour compenser).
De plus les Etats n’appliquent pas le libre échange au nom du protectionnisme éducateur.
Enfin il y a la pression de lobbies défavorables au libre échange (méttalurgiste, paysans, petits entrepreneurs…).

Des crises au relent protectionniste

Il y a une concordance entre le rythme de la croissance et la politique commerciale. Pendant la grande dépression il y a augmentation des tarifs et un retour à la politique de conquête coloniale (particulièrement pour la France qui instaure des protectorats en Tunisie et au Maroc et achève la conquête de l’Indochine). Les échanges entre métropoles et colonies se développent (compensant ainsi la baisse du commerce international inter Etat ; le commerce international global n’a par ce fait, pas baissé.)

La crise de 1929. Elle entraîne un retour total au protectionnisme qui atteint son paroxysme. Une série de lois sont votées même en Grande Bretagne dans les années trente. Elle se replie sur son « Commonwealth » créé en 1931 et avec lequel elle applique des tarifs préférentiels avec réciprocités. Ainsi les importations britanniques venant du Commonwealth passe d’une part de 30% en 1929 à 70% en 1938. La France agit de même mais dans une moindre mesure avec son empire colonial.

Aux Etats-Unis, mise en place des tarifs Hawley Smoot en 1930(=57%) puis vote de la « buy american act » proposé par Roosevelt pour permettre le bon fonctionnement de son New Deal (en effet, cette loi stipule que les passations des marchés publics aux Etats-Unis se font au profit des entreprises américaines).
Enfin pratique du clearing.

Le monde se fragmente en blocs commerciaux et monétaires, en voulant se protéger les pays ont aggravé la crise (dévaluation compétitive…).

Le libre échange un idéal remis en cause par la crise de 1929.

Un idéal théorique ?

A l’origine le libre échange est teinté d’idéalisme, son espoir étant d’améliorer l’humanité.
On peut remettre en cause Smith et Ricardo en s’attaquant à leurs hypothèses implicites qui sont les suivantes :

  • théorie statique de l’échange c’est-à-dire fixité des facteurs de production entre Etats, fixité des rendements, fixité des avantages (comparatifs ou absolus).
  • Suppose parfaite mobilité internationale des biens (sans prendre en compte les coûts de transports, les taux de change…) et parfaite mobilité interprofessionnelle du travail et du capital.
  • Modèle restrictif car la compétitivité est seulement mesurée en terme de productivité. (ne tient pas compte de la productivité hors prix).

De plus, Smith et Ricardo ont eux même nuancé leur modèle.
Par exemple Smith préconise dans certains cas une politique de soutient à l’industrie nationale :

  • les industries nécessaires à la défense
  • pour rétablir la situation initiale, c’est-à-dire accepte un droit de rétorsion (taxer les pays qui nous taxent).
  • Il s’inquiète des effets malsains de la spécialisation des taches.
La pratique du libre échange valide t elle la théorie ?

C’est-à-dire est ce que le libre échange entraîne l’enrichissement général ?

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Difficile d’y répondre car le libre échange n’a jamais totalement été mis en place.

Mais pour exemple, la période 1860 1873 correspond à une période de libre échange et de croissance. Problème : où est la causalité ? s’il yen a une !
D’autres facteurs peuvent exister :

  • découverte de gisements d’or en Californie (masse monétaire multiplié par 2,3 entre 1885 et 1913)
  • baisse des coûts de transports (de 90% pour les frais maritimes entre 1800 et 1900)
  • apparition et multiplication des marchés de matières premières.

Difficile de mesurer l’impact des politiques commerciales.

En étudiant le cas de la France, que ce soit pour Bairoch ou Asselain, les périodes de libre échange n’ont pas été très profitable à la France, cependant, Bairoch considère que cela a permis la concentration des entreprises (va vers le développement économique) alors que Asselain pense que les périodes protectionnistes ont été favorable à la France (qui a correspondu « paradoxalement à une intégration croissante de l’économie française à l’économie mondiale »).

La Grande Bretagne, seul pays à avoir pratiqué totalement le libre échange (avec un déficit récurent compensé par le revenu des capitaux placés à l’étranger), on observe un déclin progressif de se puissance, mais cela ne peut être lié (on observe en effet un déclin de son appareil productif et la concurrence du au libre échange aurait du avoir l’effet inverse).

Cependant des voix s’élèvent contre le libre échange en GB, comme Chamberlain ou Williams (made in Germany, 1897).

La crise de 29 = la faillite d’un idéal ?

Le protectionnisme triomphe après 29. Le commerce international se contracte de deux tiers en valeur (en volume, la chute est bien moindre).

Pour Kindleberger la contraction des échanges a aggravé la crise (ainsi que l’absence de leadership mondial assumé).

Les Etats-Unis ont rapatrié leur capitaux ce qui a entraîné une crise de liquidité, ils n’ont assumé leur responsabilité dans aucun domaine.

Mais la crise de 29 relance la réflexion sur le libre échange mais ne remet pas foncièrement en cause la théorie.

Heckscher et Ohlin reprennent les avantages comparatifs en 1933. Ils cherchent à en définir la nature. Ils introduisent l’idée d’abondance relative en facteurs de production et de dotation factorielle. C’est en fonction de ça que les pays importent ou exportent.

Pour eux, l’échange international est un substitut à la circulation des facteurs de production.

Samuelson prolonge en 1948 (ce qui donne le théorème HOS) en considérant que les rémunérations tendent à converger entre les pays car les facteurs abondant dans un pays sont les plus utilisés pour exporter et donc deviennent moins abondant, relativement.

C’est la thèse de la convergence mondiale de la rémunération des facteurs de production.

La crise de 29 ne marque pas la faillite de la théorie, mais un renouveau ainsi qu’un renouveau politique. Enfin, le protectionnisme sort discrédité de la crise (comme responsable de son aggravation, et indirectement, de la guerre).

Après la guerre on va chercher à institutionnaliser le libre échange.

Conclusion

Le libre échange n’est pas un mythe mais une théorie qui s’impose inégalement jusqu’en 29. Ce qui est un mythe est de croire que le 19ème fut l’âge d’or du libéralisme.
La crise de 29 est une rupture (abandon du libre échange, gold standard abandonné) et une transition (entre deux leaderships, vers le gold echange standard).

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