Malgré le retournement de la conjoncture, les grandes écoles et même les universités tablent encore sur une croissance de leur activité et de leurs ressources. Une perspective qui risque d'être mise à mal par la crise.
Jusqu'ici, tout va bien. Un peu partout, grandes écoles et universités continuent d'afficher des plans de développement ambitieux, de multiplier les projets, de lancer de nouveaux programmes. Et de s'inscrire, sur la lancée de ces dernières années, dans une dynamique de forte croissance. Mais pour combien de temps ? La crise ne devrait pas épargner un secteur de l'enseignement supérieur pourtant réputé contra-cyclique.
Pour l'instant, de multiples facteurs contribuent à nourrir la spirale inflationniste. A commencer par la mondialisation : elle impose des standards plus élevés en termes de qualité de l'enseignement et d'accueil des étudiants. Elle pousse à créer de nouveaux cursus, à recruter des enseignants-chercheurs, à agrandir les locaux. Voire à multiplier les bourses. Idem pour l'accent mis sur la recherche, elle aussi grosse consommatrice de crédits. Ajouter la nécessaire remise à niveau des réseaux informatiques, l'amélioration des services pour des étudiants devenus plus exigeants, la présence accrue à l'international, les dépenses de communication...
Exemple type de cette boulimie, le plan de développement 2009-2013 d'HEC, présenté à l'automne (« Les Echos » du 17 octobre 2008). Le groupe prévoit notamment de collecter, via sa fondation, 100 millions d'euros, tandis que la chambre de commerce et d'industrie de Paris devrait doubler la mise. Au programme, recrutement d'une trentaine de professeurs, doublement du nombre de bourses, rénovation du campus, construction d'un nouveau bâtiment, réfection des résidences... « La concurrence s'intensifie sur nos marchés. La demande de dirigeants augmente. Nous devons appuyer sur l'accélérateur », explique Bernard Ramanantsoa, le directeur général.
La plupart des « business schools » de l'Hexagone se placent dans cette logique. Sup de Co Rennes prévoit ainsi d'acquérir un bâtiment de 5.000 m2, et de faire passer ses effectifs étudiants de 1.800 à 2.500. A Euromed-Marseille, le budget a grimpé de 17 millions d'euros en 2002 à 37 millions cette année. L'Edhec aménage un nouveau site ultramoderne à Lille, pour 75 millions d'euros. Et dans le même temps, l'école s'apprête à rénover ses locaux niçois - un investissement de 24 millions d'euros.
Des turbulences à prévoir
Les formations d'ingénieurs sont également concernées. Les Ecoles centrales, par exemple, sont à la recherche d'entreprises partenaires pour contribuer au financement de Centrale Pékin. « Nous en avons déjà une dizaine, et nous sommes en négociation avec d'autres. Mais ce n'est pas facile », note Hervé Biausser, directeur de Centrale Paris. Du côté des universités, enfin, on table sur la manne du Plan Campus et sur les fondations qui se multiplient. Déjà, une quinzaine de ces structures sont sur les rails. D'autres devraient se lancer dans les mois qui viennent.
La crise ne risque-t-elle pas de remettre en question tous ces projets ? « Nous sommes bien conscients que, par les temps qui courent, collecter 100 millions d'euros, cela va être sportif, admet un des responsables d'HEC. Mais rien ne dit, pour l'heure, que nous n'y parviendrons pas. » « En réalité, on assiste à une vaste partie de poker menteur, estime pour sa part Patrick Molle, directeur général d'EM Lyon. Personne ne veut reconnaître qu'il est affecté. Or toutes les écoles seront touchées à des degrés divers, c'est évident. » A EM Lyon, le budget devrait être bouclé sans problème, la taxe d'apprentissage rentre correctement, le placement des diplômés est en ligne avec les objectifs. « Mais, aujourd'hui, sur la formation continue, les entreprises renégocient, reportent et parfois renoncent à leurs projets, admet Patrick Molle. Pour les «executive MBA», les candidats hésitent à présenter à leur patron une facture de 30.000 à 35.000 euros. Et certaines firmes prévoient de lever le pied sur les embauches. » Résultat, certains étudiants choisiront sans doute de prolonger leurs études avec un mastère spécialisé ou un MBA. A EM Lyon, le comité exécutif de l'école s'apprête à revisiter le plan stratégique. « Il n'y a pas péril en la demeure, mais mieux vaut anticiper, juge le directeur général. Nous mettrons peut-être plus longtemps à réaliser certains projets, mais nous gardons le cap. Pas question de réduire nos recrutements d'enseignants, ni d'arrêter en Chine, qui est l'un de nos axes clefs de développement. Nous allons laisser passer l'orage et nous préparer à rebondir. »
Les fondations en question
A l'ENPC School of International Management, on reconnaît avoir « beaucoup de difficultés » à obtenir des projets de fin d'études pour les élèves. « Nous devons faire du porte-à-porte, déplore Tawfik Jelassi, le doyen. Beaucoup de firmes sont dans une logique de court terme. » L'école a aussi dû suspendre une formation sur mesure pour un grand cabinet d'audit. « Pour le moment, la crise se fait surtout sentir pour l'apprentissage, indique de son côté Stéphan Bourcieu, directeur général de l'ESC Dijon. « Une vingtaine d'entreprises nous ont fait faux bond, sur un total de 80 contrats. »
Beaucoup d'institutions comptent désormais sur le « fundraising » pour leur apporter au moins une ressource d'appoint. Là encore, des déceptions sont à prévoir. « Jusqu'à présent, nous soutenions une poignée d'écoles avec lesquelles nous entretenons des liens étroits, expose le DRH d'un grand groupe industriel. Cette année, nous sommes sollicités par une trentaine d'institutions, notamment des universités. Plutôt que de nous disperser, nous allons peut-être nous tourner vers d'autres formes de partenariat. » L'université Pierre - et - Marie-Curie, qui avait prévu de lancer sa fondation en septembre prochain, va reporter l'opération. « Récolter 50 millions aujourd'hui, cela paraît difficile », remarque Jean-Charles Pomerol, le président. L'UPMC a aussi renoncé - provisoirement - à certains programmes à l'étranger et à une formation doctorale. A l'ESC Toulouse, la fondation n'a récolté l'an dernier que 800.000 euros, au lieu du million espéré.
Des solutions adaptées
Dans ces conditions, chacun s'efforce de trouver des solutions adaptées à ses spécificités. Et de faire jouer ses atouts. D'autant qu'il n'est pas envisageable d'augmenter les frais de scolarité... « Nous misons en priorité sur notre présence à l'international - en Chine, à Abu Dhabi, au Maroc et maintenant aux Etats-Unis, avec des partenaires locaux. Cela nous permet d'amortir la crise », indique Tawfik Jelassi. A Telecom Ecole de management, on se réjouit d'opérer sur un secteur d'activité - l'informatique - qui reste porteur. « Cela nous protège des difficultés, estime Denis Lapert, le directeur. De plus, 70 % de notre budget est constitué par une subvention d'Etat. » Quant aux institutions sélectionnées dans le cadre du plan Campus, elles bénéficient de ressources supplémentaires, mais aussi d'un regain de visibilité. « Cela nous place dans une dynamique positive », juge Thierry Grange, directeur général de Grenoble EM, qui fait partie du projet « Grenoble Université de l'Innovation ». Reste qu'un peu partout la prudence est de mise. Moins affecté que d'autres secteurs par le ralentissement de l'économie, l'enseignement supérieur doit pourtant se préparer à relever le défi de la crise.
JEAN-CLAUDE LEWANDOWSKI
Edition ptite souris : source les echos du 22 janvier 2009, article en ligne : http://www.lesechos.fr/info/france/4821109-les-grandes-ecoles-vont-elles-subir-la-crise-.htm