La mondialisation et ses ennemis

Fiche de lecture: Daniel COHEN – La mondialisation et ses ennemis

(Hachette Littératures – Pluriel Économie)

Plan de la fiche

  • Résumé détaillé
  • Les idées principales
  • Les apports de l’ouvrage
  • Critiques (points forts et points faibles de l’ouvrage)
  • Citations utiles
  • Chiffres importants

Résumé détaillé

Introduction

Après avoir posé la question de l’origine de la pauvreté des pays pauvres et de la richesse des pays riches, Daniel Cohen explique dans l’introduction que les pays pauvres souffrent plus d’être exclus de la mondialisation que d’être exploités par les pays intégrés dans la mondialisation. Cependant, cela ne rend pas ces derniers innocents de la situation parfois dramatique dans laquelle se trouvent les pays pauvres. La mondialisation est un phénomène complexe qui soulève des questions non moins complexes. Le phénomène que nous connaissons aujourd’hui se place dans la continuité des actions des conquistadores espagnols et des marchands anglais, destructeurs de civilisation. De plus, D. Cohen explique que les pays pauvres ne sont aujourd’hui pas protégés des apports des pays riches, et cela est à l’origine de leur destruction. L’une des caractéristique majeure de la mondialisation est la révolution des transports et des télécommunications (rapidité accrue et baisse des coûts). Cela a cependant été à l’origine d’inégalités (apparition de centres intégrés et de périphérie dépendantes par exemple).

La mondialisation n’est donc pas synonyme d’égalité et de distribution des chances et des richesses, ce qui donne naissance à des critiques. Les ennemis de la mondialisation se divisent en deux groupes distincts: d’une part les Mollahs qui critiquent l’« occidentalisation du monde », d’autre part les ennemis du capitalisme qui dénoncent l’exploitation des pays pauvres par les pays riches. D. Cohen explique toutefois que leur thèse commune, « la mondialisation impose un modèle dont les peuples ne veulent pas » (p.16), est injustifiée. L’auteur montre en effet que les attentes des populations vis-à-vis de la mondialisation sont nombreuses mais qu’elles ne peuvent actuellement pas être satisfaites, vu que la mondialisation n’est pas achevée. D.Cohen met ensuite en lumière l’importance de la transition démographique et explique qu’elle « est en marche aujourd’hui dans l’immense majorité des pays pauvres. » (p.18), et cela est notamment dû à la propagation des modèles culturels entre les pays.

Chapitre I – Naissance de l’axe Nord-Sud

A l’aide de deux exemples (la défaite des Incas face à l’Espagnol Pizarro et la question de Yali) et en s’appuyant sur les analyses de Jared Diamond, D.Cohen explique comment l’ordre du monde (avec des pays riches et des pays pauvres) s’est mis en place. En effet, quelle est l’origine des inégalités frappantes que l’on constate aujourd’hui entre les pays ? D.Cohen, en s’appuyant sur les études du biologiste américain Jared Diamond, prouve d’emblée que l’argument de la « race supérieure » n’est pas valable; c’est dans la nature qu’il faut chercher ce qui aurait pu distinguer un peuple d’un autre. Toutefois, l’auteur montre que le climat n’est en rien facteur de développement. Les inégalités sont apparues avec l’existence de régions offrant aux hommes la possibilité de domestiquer des animaux et de cultiver des plantes et des régions n’offrant aucune de ces possibilités (la domestication du cheval tient notamment une place importante dans le développement des peuples). Les inventions des peuples se diffusent, ce qui donne naissance à d’autres innovations chez d’autres peuples. Ces innovations sont certes favorisées par la nature, mais il ne faut pas oublier que l’intelligence de l’être humain est primordial. L’auteur explique également que les peuples les plus « avancés » développent des moyens efficaces de se protéger contre des effets négatifs de la technique, alors que d’autres peuples moins « avancés » ne possèdent pas ces protections.

Chapitre II – D’une mondialisation, l’autre.

D.Cohen explique dans ce chapitre que les progrès effectués dans les domaines des transports et des télécommunications n’ont pas permis une distribution des richesses. Au contraire, on assiste aujourd’hui à une polarisation des richesses. La révolution des transports et des télécommunications permet de donner au monde des dimensions nouvelles, et en particulier de faire émerger deux axes: l’axe Nord-Nord (caractérisé par les déplacements des personnes) et l’axe Nord-Sud (qui se caractérise par le commerce des marchandises). La mobilité des personnes a pour conséquence la mobilité du capital. Cependant, nous pouvons constater que les flux de capitaux ou de main-d’oeuvre sont moins importants aujourd’hui qu’au XIXe siècle.

D.Cohen explique ensuite que la division internationale du travail a eu des conséquences dramatiques pour certains pays pauvres. En effet, la spécialisation dans un secteur rend l’économie du pays concerné très fragile car une crise dans ce secteur mènerait le pays vers une crise économique très grave (le pays n’ayant pas d’autres secteurs pour atténuer l’effet de la crise). La division internationale du travail rend donc les pays dépendants de la demande des autres pays. Ensuite, l’auteur démontre (notamment à l’aide de chiffres) que les pays riches, eux, ne sont pas dépendants des pays du Tiers-Monde. L’idée selon laquelle les pays du Tires-monde ne peuvent pas concurrencer les pays développés à cause de deux raisons: leur manque de personnel qualifié et une insuffisance de capital est en réalité fausse (« Le manque de capital et les carences d’une main-d’oeuvre insuffisamment qualifiée sont les deux raisons auxquelles on pense pour expliquer que le travail ait été beaucoup moins productif en Inde qu’en Angleterre […], il n’en est rien en réalité », p.67). L’«échange inégal » s’explique davantage par l’ « esprit du colonialisme ». En effet, les colonisateurs entendaient mépriser les revendications des colonisés (ces derniers voulant être traités comme les colonisateurs).

Chapitre III – La nouvelle économie-monde.

Les années 80 ont été un tournant pour la mondialisation: la crise des années 30 avait fortement affaibli le commerce international et les années après la Seconde Guerre mondiale l’ont vu reprendre de la vigueur. La révolution concernant les moyens de transports ont permis une circulation plus rapide et plus efficace des marchandises et des informations. D.Cohen, en développant l’exemple de Nike, montre qu’une marque doit accorder une partie importante de son capital à la publicité. La mondialisation a de plus un effet sur les relations entre centres et périphéries d’un pays. Les transports ont en effet tendance à polariser l’espace, pas à diffuser la richesse « La baisse généralisée des coûts de transport qu’ont apportée au cours des deux derniers siècles les chemins de fer, l’automobile ou le téléphone n’ont nullement conduit à diffuser la richesse. » (Chapitre III, p.111). Ainsi, les régions les moins peuplées sont marginalisées, et les régions peuplées profitent des moyens de transports et sont intégrées à la mondialisation.

L’auteur développe ensuite l’exemple de Zara, en expliquant qu’une innovation constante et qu’un chois spatial stratégique (être prêt du centre et mais avoir également une main d’oeuvre bon marché) profite à la marque. Ainsi, comme le souligne l’auteur à la fin de ce chapitre: « Un pays ne peut compter sur la seule division internationale du travail pour espérer prospérer. Pas plus qu’hier l’industrialisation des pays riches n’était responsable de la pauvreté du tiers-monde, la désindustrialisation des premiers ne créera à elle seule demain la prospérité des seconds. Pour se développer, un pays doit devenir à son tour un « centre », c’est-à-dire un lieu dense de production et de consommation. » (Chapitre III, p.125)

Chapitre IV – Le choc des civilisations ?

Les prévisions démographiques montrent que la population globale du monde augmentera mais que le nombre d’habitants en Europe, lui, diminuera. Le continent qui connaîtra la hausse la plus forte est l’Afrique, malgré les nombreux problèmes liés à l’hygiène et au sida. Cependant, tous les pays en développement ont à ce jour commencé leur transition démographique; certains sont en voie de la finir. Ainsi, la fécondité féminine se rapproche du seuil de reproduction (2,1 enfants par femme). L’auteur explique de plus que la démographie actuelle est plus forte dans les pays pauvres (« Mécaniquement, quelle qu’en soit la raison, la démographie fait en sorte que le nombre de pauvres tende toujours à s’accroître », p.132). La démographie est également à l’origine de la « clochardisation des villes du tiers-monde » ( p. 133, d’après Paul Bairoch dans Le Tiers-Monde dans l’impasse)). D. Cohen explique ensuite qu’un pays musulman doit être étudié non pas par rapport à n’importe quel pays dans le monde, mais par rapport à un pays voisins (et on voir alors qu’il n’y a de grandes différences entre eux deux).

Chapitre V – La croissance indigène.

Dans ce chapitre, D.Cohen étudie plus particulièrement les conséquences de la décolonisation pour certains pays. Le premier exemple est celui du Ghana, dont les habitants ne sont aujourd’hui pas plus riches que quand le pays était colonisé (et cela est dû à de nombreuses erreurs techniques). La corruption empêche également un pays de se développer et donc d’améliorer les conditions de vie de ses habitants. D.Cohen conclut qu’on ne peut pas programmer de stratégie de développement efficace pour un pays en ne connaissant pas ses spécificités et son fonctionnement.

Pour qu’un pays se développe, la volonté et l’aide de l’Etat sont des atouts majeurs (comme le montrent la Malaisie, la Thaïlande, la Corée du Sud et l’Indonésie).

L’auteur développe ensuite l’exemple du Japon, en constatant que ce pays est le seul pays non occidental ayant réussi à rattraper les pays occidentaux. Le Japon a pourtant été un pays très fermé, et sa modernisation lui a permis de développer ses échanges commerciaux et de devenir une grande puissance mondiale.

Toutefois, un pays privé de personnes qualifiées (comme les ingénieurs) reste dépendant et ne peut pas se développer (« Privé d’ingénieurs, un pays pauvre doit dépendre en tout de l’extérieur pour emprunter et adapter les techniques modernes. » (Chapitre V, p.169)).

D.Cohen explique ensuite la théorie des leviers de la richesse: « La richesse d’un pays est bien davantage actionnée par une série de leviers qui se soulèvent l’un l’autre, que par le seul travail humain. Un premier levier est celui qui tient à l’éducation ou à l’expérience professionnelle. […] Le deuxième levier est celui qu’offrent les machines. […] Les machines actionnent elles-mêmes un troisième levier, plus mystérieux: ce qu’on appelle « l’efficience globale », qui inclut le progrès technique et l’efficacité organisationnelle des entreprises. […] C’est cette triple dimension multiplicative qui explique la croissance économique moderne et le dénuement des pays pauvres. » (Chapitre V, p.182-183). Ainsi, un pays doit combiner plusieurs leviers pour assurer son développement.

Chapitre VI – L’Empire, et caetera

L’auteur constate au début de ce chapitre que les critiques faites à la mondialisation se confondent souvent avec les critiques faites aux Etats-Unis. Il ne faut cependant pas identifier cette superpuissance mondiale aux anciennes puissances coloniales.

D.Cohen développe ensuite la distinction faite par J.Mokyr entre deux types de croissance économique: celle correspondant à la logique « smithsienne » (selon laquelle la division du travail est source de prospérité) et celle correspondant à la logique « schumpetérienne » (selon laquelle la croissance dépend de la capacité d’innovation d’une économie). Selon l’auteur, « Le premier continent qui se retrouve distancé par la puissance schumpétérienne des Etats-Unis est l’Europe. » (p. 204). En effet, l’Europe manque de firmes multinationales très puissantes et pouvant être un danger pour certaines FMN états-unienne. Cependant, l’Europe n’est peut-être pas si en retard que cela par rapport aux Etats-Unis. Le choix de l’Europe concernant les technologies peut se révéler à long terme très efficace. L’Europe est capable de s’aligner avec les Etats-Unis, elle l’a déjà fait au cours des Trente Glorieuses.

Chapitre VII – Le sida et la dette.

Après avoir rappelé que l’Afrique est la principale victime du sida, D.Cohen explique que les industries pharmaceutiques du Nord ne font pas de leur mieux pour permettre aux victimes d’avoir des médicaments facilement (alors que ce serait tout à fait possible). Les prix des médicaments notamment sont beaucoup trop élevés et l’argument de la contrefaçon (selon lequel les médicaments vendus moins chers dans les pays pauvres que dans les pays riches soient ensuite revendus de façon illégale dans les pays riches, créant ainsi un manque à gagner pour les industries pharmaceutiques) n’est pas valable. Ainsi, le développement de certains pays pauvres est très dépendant des décisions des pays et organisations du Nord.

Annuler la dette de certains pays pauvres (ou du moins en abaisser le montant) pourrait être un facteur de croissance pour les pays concernés. La mobilisation pour l’annulation de la dette est forte (Jubilé 2000 par exemple).

Conclusion

La mondialisation ne doit pas se confondre avec une hégémonie culturelle occidentale car de grandes civilisations ont de plus en plus de poids dans l’économie mondiale. La mondialisation créé auprès des populations de nombreuses attentes auxquelles elle n’est pas aujourd’hui en mesure de répondre.

Les idées principales

D.Cohen explique dans cet ouvrage que la mondialisation n’est pas un phénomène nouveau car nous en sommes aujourd’hui à la troisième mondialisation. Les attentes des populations envers ce phénomène sont nombreuses et ne peuvent pour l’instant pas être satisfaites car la mondialisation n’est pas terminée. De plus, la mondialisation invite certains pays en difficulté à construire une autre voie de développement (basée notamment sur les emprunts à l’étranger et le développement interne). En effet, un pays ne peut pas se développer grâce à la division internationale du travail, qui le rend dépendant.

Pour se développer, il doit devenir un centre économique et un lieu de production et de consommation.

Les apports de l’ouvrage

La mondialisation et ses ennemis nous permet de distinguer le vrai du faux concernant les critiques adressées à la mondialisation. En effet, D.Cohen démontre à chaque fois ses affirmations et les exemples qu’il choisit nous permettent de bien comprendre leur portée (avec par exemple: « L’écart de richesse entre un Indien et un Anglais est multiplié par cinq, passant de 1 à 2 en 1820 à 1 à 10 en 1913. » (Chapitre II, p.52)). Les chiffres sont pertinents, l’auteur a choisi de présenter les données les plus significatives, cela rend la lecture agréable. De plus, les données chiffrées se trouvent le plus souvent dans des notes en bas de page, ce qui rend le lecteur libre de ne pas toutes les lire (lors d’une première lecture par exemple) et de comprendre tout de même les explications.

Le développement en profondeur de l’exemple de Nike m’a paru particulièrement intéressant, il s’agit d’une analyse nuancée qui nous renseigne sur la structure des coûts d’une telle entreprise. Nous ne pensons en effet pas forcément au poids du coût des machines, de la matière première, du stockage et de la publicité dans le prix d’une paire de chaussures de sport. L’auteur juge en effet utile de préciser que « Nike n’est pas une entreprise particulièrement rentable » et cette phrase pourrait paraître aberrante si on ne lisait que le début de l’analyse. En effet, D.Cohen explique qu’une paire d’« Air Pegasus » est vendue 70 dollars et que celui/celle qui la fabrique gagne seulement 2,75 dollars. Cependant, l’analyse de la structure des coûts nous permet par la suite de comprendre pourquoi Nike peut apparaître comme une entreprise pas particulièrement rentable.

De plus, l’auteur explique qu’à la suite de leur indépendance, de nombreux Etats n’ont pas réussi à se développer à cause de la corruption et nous savons que cette analyse est encore valable de nos jours (en particuliers dans certains pays d’Afrique). Ainsi, cet ouvrage nous permet de mieux comprendre la plupart des phénomènes actuels liés à la mondialisation.

L’auteur attache également beaucoup d’importance à expliquer l’histoire de la mondialisation, il nous montre que ce phénomène n’est pas apparu dans les années 1970, mais bien avant. En nous montrant qu’il n’y a aujourd’hui pas trop de mondialisation, mais trop peu, l’auteur s’attaque aux préjugés selon lesquels la mondialisation est devenue omniprésente et incontrôlable. Ainsi, le monde n’est pas encore devenu un « village planétaire ». Les rappels historiques sur le colonialisme et les crises nous permettent également de bien comprendre les contextes politique et économique dans lesquels s’inscrit la mondialisation.

La théorie des leviers présentée dans le chapitre 5 met en lumière le fait que le développement dans un pays n’est possible qu‘à certaines conditions, des efforts au niveau de l’éducation ne suffisent pas, c’est plutôt la combinaison de trois « leviers » (l’éducation ou à l’expérience professionnelle; ce qu’offrent les machines et l’efficience globale, qui inclut le progrès technique et l’efficacité organisationnelle des entreprises). Ces trois leviers expliquent «la croissance économique moderne et le dénuement des pays pauvres » (Chapitre V, p.182-183).

Ainsi, je pense que cet ouvrage clair et nuancé est essentiel pour bien comprendre les effets sociaux et économiques de la mondialisation dans le monde.

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