[Article]: Ce que "l'enfer des prépas" ne dit pas

[Article]: Ce que "l'enfer des prépas" ne dit pas

Messagepar goraj » 17/02/2012 13:40

Ahhhh!

www.lemonde.fr/idees/article/2012/02/17 ... d=1559618&xtor=RSS-3208

Au cas ou l'acces serait limite, copie-colle mais sans les mises en forme (le lien url ci-dessus):
Fabien Truong, professeur agrégé à l'université Paris-VIII, Gérôme Truc, ATER à l'université de Versailles Saint-Quentin a écrit:L'article de Marie Desplechin, "Prépas, l'excellence au prix fort", paru dans Le Monde du 3 février, a remis sur le tapis un thème qui revient chaque année, généralement au milieu de l'hiver, au moment où se joue l'orientation des futurs bacheliers : celui de "l'enfer des prépas". Pourtant, cette dénonciation récurrente des classes préparatoires ne nous apprend rien. Elle nous cache même peut-être l'essentiel.

Elle occulte tout d'abord que "la prépa" n'existe pas. Il y a les "grandes" prépas parisiennes, sur lesquelles l'attention médiatique tend à se focaliser, qui intègrent la plupart de leurs élèves dans les Grandes Ecoles ; les "moins grandes" prépas de province qui en intègrent quelques-uns ; les "petites" prépas de province et de banlieue lointaine qui n'en intègrent presque jamais aucun ; et puis les "toutes petites" prépas conventionnées en ZEP… A ces différentes classes préparatoires, correspondent des réalités bien distinctes.

Mais ce qu'elles ont en commun, c'est d'organiser la formation des étudiants autour d'un travail pédagogique intense. De tout miser sur l'exigence et la rigueur, la régularité de l'effort, une combinaison d'encadrement individuel et de dynamique collective. En pratique, ces principes structurants peuvent donner le pire comme le meilleur, d'une prépa à l'autre, d'une classe à l'autre, d'un enseignant à l'autre : émancipation intellectuelle ou profond sentiment d'illégitimité culturelle, progression continuelle ou pression permanente, reconnaissance individuelle ou stigmatisation personnelle, émulation collective (et amitiés durables) ou concurrence malsaine et humiliante.

Nulle part ailleurs, dans le système scolaire et universitaire français, on n'investit autant dans les élèves et on ne les suit d'aussi près : un étudiant en prépa coûte par exemple 13 880 euros par an à l'Etat contre 8 790 euros pour un étudiant à l'université.

La souffrance en prépa, bien réelle pour certains, ne s'explique pas par la prépa en elle-même. Elle est le produit des stratégies scolaires et des attentes de plus en plus fortes envers leurs enfants de parents issus des classes moyennes et supérieures, dans un contexte de massification scolaire, de chômage endémique et durable, d'inflation des diplômes et d'incertitudes croissantes. Quant aux caractéristiques particulièrement anxiogènes du système éducatif français mises en avant par les enquêtes de comparaison internationale PISA, elles portent sur les élèves âgés de… 15 ans. "L'enfer" était le plus souvent là avant la prépa, à l'état latent, "la prépa" n'étant rien d'autre qu'un révélateur.

Nous sommes tous les deux passés par des "petites" prépas littéraires B/L et avons intégré une "grande" école à laquelle notre environnement immédiat ne nous destinait pas fatalement. Nous y avons découvert l'effet émancipateur des cours de certains enseignants passionnants parce que passionnés et de la lecture d'ouvrages qui nous donnait à voir, pour la première fois, que le monde était plus vaste que ce que l'on pouvait imaginer. Il est vrai que l'on avait pu dire à l'un d'entre-nous au lycée qu'il ne servait à rien de lire tel auteur dans le texte "puisqu'il y a des manuels et que c'est très bien". Il s'agissait alors de Pierre Bourdieu.

La question mérite d'être posée : combien de "jeunes gens" fait-on précocement rentrer dans le rang, en leur disant au lycée que lire Bourdieu et/ou rentrer en prépa, ce n'est pas pour eux ? La part d'enfants d'ouvriers et d'employés en classes préparatoires est toujours aussi scandaleusement faible : 6,3% des élèves en prépa sont enfants d'ouvriers contre 50,8% enfants de cadres et professions intellectuelles supérieures. Pourtant, l'expérience prouve qu'ils y réussissent souvent mieux que d'autres, et il est un fait que le passage par une prépa a une incidence positive sur la suite de leur parcours universitaire, par rapport à ceux qui n'ont pas eu cette chance. L'un d'entre nous qui a enseigné dans un lycée situé en ZEP où plus de 50% des élèves étaient originaires d'une CSP "défavorisée" garde en mémoire tout le travail de persuasion qu'il a fallu accomplir auprès de deux élèves boursiers, aux notes " moyennes " (pas de mention au bac) pour oser demander à s'inscrire dans une classe prépa conventionnée ZEP – la seule prépa qu'il leur était par ailleurs concevable d'envisager. Ils sont aujourd'hui tous les deux en école de commerce.

Est-on si sûr en fin de compte que les premiers cycles universitaires soient moins "infernaux" et plus épanouissants que les prépas, avec leurs amphis bondés, leurs classes de TD surchargées, leur absence de suivi individualisé, leurs emplois du temps en forme de gruyère, leur spécialisation précoce, et leurs professeurs trop souvent inaccessibles ? Et moins socialement inégaux, quand les enfants d'ouvriers à l'université sont 12,3 % en licence, 7,7 % en master et 4,7 % en doctorat ? Sur-sélection insidieuse car progressive et silencieuse. Aucune statistique ne permet d'ailleurs d'affirmer que la consommation d'anti-dépresseurs ou le taux de suicide sont plus élevés chez les jeunes en prépa plutôt que dans les premiers cycles universitaires.

Remis en perspective, "l'enfer des prépas" a tout d'un mythe. Un mythe au service de la reproduction sociale. D'abord car il a un effet démobilisateur sur tous ceux que leur origine sociale et familiale ne destine pas "naturellement" à la prépa, alors même qu'ils ont largement les capacités d'y réussir, tandis que, aussi prétendument " infernales " que soient les prépas, les classes supérieures ne cesseront jamais d'y placer leurs enfants, qui y trouveront la voie royale pour atteindre les positions professionnelles et sociales les plus désirables.

Et cela, d'autant plus que ce mythe fonctionne aussi comme une prophétie autoréalisatrice. Ceux qui intègrent une Grande Ecole après avoir survécu à cet "enfer" pensent ne plus rien devoir à leurs origines, mais tout à leur mérite : c'est en puisant en eux-mêmes, qu'ils ont su trouver les ressources pour "tuer le dragon". Comme si survivre à deux ou trois années d'études intensives était ce qu'il y avait de pire à 18 ans… Bien pire, sans doute, que d'être ouvrier intérimaire à la chaîne, ou bien en concurrence dans un centre de formation pour apprentis-footballeurs tout aussi sélectif et "infernal". Le vrai drame, au fond, réside dans l'idée qu'il n'y aurait point de salut dans notre société en-dehors de la compétition et des concours ; autrement dit : en-dehors des filières sélectives – peu importe qu'elles soient intellectuelles ou sportives.

Dénoncer sans discernement "l'enfer des prépas", c'est enfin prendre le risque de liquider ce qui, dans ce système, pourrait pourtant contribuer à une véritable politique du savoir et de l'éducation émancipatrice pour les enfants issus des classes populaires comme pour les autres : formation généraliste, encadrement individuel, explicitation des méthodes de travail, emploi du temps structuré, encouragement à tirer le meilleur de soi-même, refus de niveler par le bas, etc.

L'idéal, sans doute, serait d'allier le meilleur de l'université (mixité sociale plus grande en premier cycle, lien avec la recherche, autonomie des étudiants) et le meilleur de la prépa, en créant des "Collèges universitaires" accessibles à tous, qui délivreraient les diplômes de Licence. Mais à en croire les projets des candidats déclarés à la prochaine élection présidentielle, aucun d'entre eux ne semble jusqu'à présent mesurer l'importance d'une réforme indispensable pour une jeunesse qui n'a pas le temps d'attendre.
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Re: [Article]: Ce que "l'enfer des prépas" ne dit pas

Messagepar Chapeaudepaille » 17/02/2012 18:36

Ca c'est un bon article ! :)
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Re: [Article]: Ce que "l'enfer des prépas" ne dit pas

Messagepar Venom » 18/02/2012 01:15

Je ratifie itou, 4 années au coeur du prétendu "enfer" et pas un reproche à adresser à cette analyse ! :D

...Gérôme ?
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Re: [Article]: Ce que "l'enfer des prépas" ne dit pas

Messagepar prepa-HEC.org » 18/02/2012 09:51

Déplacé dans la section prépa, pour que les futurs étudiants de prépa puissent consulter cet article.
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