Qu’observons-nous depuis de longues années ? Des choses pour le moins bizarres quand on les évoque froidement : on a prêté à des clients que l’on savait insolvables, on a vendu des produits tellement complexes que les vendeurs et les acheteurs ne les comprenaient pas, on a même pensé que plus ils étaient compliqués plus ils rapporteraient , la complexité confinant au génie, on a confondu taux d’intérêt et intérêt général, on a pensé génial de cacher des produits pourris dans des produits apparaissant sains, de disséminer les risques au niveau mondial au moyen de techniques incontrôlables.

Et bien entendu peu de monde a souhaité siffler la fin de la partie. Tellement elle était belle ! Pas pour tout le monde ; mais ce n’était pas grave. Qui aurait osé mettre fin à la fête ?

Le réveil est difficile tant nous découvrons l’absence de pilote dans l’avion. Le silence assourdissant de la science économique nous étonne. Ce désarroi laisse donc la place, comme souvent dans ces situations là, aux excès de nature différente : l’utopie d’une gouvernance mondiale, la foi soudaine dans les vertus de la réglementation, de la loi, du dirigisme.

Pour en sortir il faudra un diagnostic partagé. Nous en sommes loin ; l’échec du cycle de Doha est là pour nous le rappeler. Il faudra combattre les effets de la récession, repenser globalement les fondamentaux de l’économie mondiale. Mais une fois les peurs évanouies, la confiance restaurée, la régulation financière et monétaire rétablie, les acteurs financiers et bancaires trouveront encore des moyens pour pervertir le système. La cupidité est une constante. Ainsi va le monde. Et croire l’inverse serait faire preuve d’aveuglement et d’arrogance. Alors que faire ?

L’Education constituera le meilleur rempart à la crise que nous vivons et qui se reproduira si les vraies solutions ne sont pas acceptées.

En effet, si les facteurs techniques expliquent cette crise, les attitudes et les comportements des acteurs économiques l’expliquent davantage : l’absence de valeurs partagées, d’humanisme, de bon sens, la croyance absolue qu’il faut toujours « laisser le dernier mot au marché », que la technique prime toujours la politique.
Il faut donc réapprendre l’éthique, réaffirmer le fait que tout acte économique a l’Homme pour origine et doit avoir l’Homme pour destination et adopter les valeurs fondamentales comme règles de comportement économique. Si la transparence, le bon sens, la solidarité, le sens des responsabilités avaient été davantage partagés, nous n’en serions pas là. Nous croyons à la possibilité pour l’Education de rendre le monde un peu meilleur.
A l’ESC PAU, le modèle éducatif que nous pratiquons depuis onze ans est fondé précisément sur l’idée selon laquelle l’entreprise doit s’organiser autour de finalités qui dépassent le seul souci du profit immédiat pour prendre en compte le temps, l’Homme, la société et l’environnement ; moyen différent pour l’entreprise d’être encore plus performante en transformant les différents défis environnementaux et humains en opportunités de croissance et de profit.
Il y a quelques années, ce discours paraissait assez « ringard », au minimum, rebelle. Aujourd’hui nous sommes rejoints sur ce positionnement par quantité de commentateurs qui affirment ce que nous écrivions il y a longtemps : « Seuls les aveugles peuvent penser que notre modèle de développement économique perdurera dans ces conditions ». Nous avons toujours formé des jeunes pour l’économie réelle et non pour l’économie virtuelle.

Ne nous méprenons pas. Il ne s’agit pas seulement de « morale ». Cet engagement peut s’inscrire dans tous les interstices de la vie de l’étudiant et dans les enseignements. Par exemple, à l’ESC PAU les professeurs d’économie ont toujours appris à leurs étudiants, même si c’était moins « sexy » que ce qu’ils pouvaient lire ou entendre ici ou là, que l’on ne peut pas espérer s’enrichir durablement de 10 % par an, lorsque la croissance du PIB n’atteint que 2 %. Les professeurs de finance, que l’effet de levier est un concept intéressant sur le plan théorique mais qu’il constitue la pire des politiques financières dès lors que l’on oublie le rôle des fonds propres ; que les fonds propres, précisément, sont l’exacte mesure du risque que prennent les actionnaires mais aussi la garantie ultime des autres créanciers et non pas seulement une jolie ligne dans un bilan… Et tout ceci peut se décliner en marketing, en stratégie, en GRH, en philosophie que nous enseignons depuis déjà longtemps à une époque où ce n’était pas « tendance ».
Si nous voulons sortir de cette crise et ne pas la connaître à nouveau, à côté des techniques du management, les Grandes Ecoles de Management doivent transmettre aux jeunes la certitude qu’ils peuvent transformer le monde. Qu’ils ont besoin d’imaginer que tout est possible. Les entreprises ont plus que jamais besoin de jeunes capables d’inventer vraiment un avenir et non pas de simplement reproduire les schémas du passé.
Cette crise exige de refonder l’économie globale. Or, cette refonte ne sera efficace que si on sait assortir des aspects aujourd’hui contradictoires ; par exemple : le retour des états dans le jeu économique, alors qu’on sait qu’ils découragent souvent, la tentation du protectionnisme, alors que la mondialisation des échanges sera plus que jamais nécessaire, la collaboration avec les économies émergentes, alors qu’on peut penser qu’elles ne feront plus de cadeau à l’Occident du fait du nouveau rapport de force…
L’éthique, l’humanisme, peuvent permettre de réaliser cette savante et difficile alchimie.

Tribune libre de Philippe Lafontaine, directeur général du groupe ESC Pau.

Soyez le premier à commenter

Laisser un commentaire